Une Déclaration, pour quoi faire?
L’idée est simple. Face au développement exponentiel du numérique, de l’IA et des métatechnologies, il ne suffit plus de vouloir protéger, comme on tente de le faire actuellement, les droits et libertés individuels, socle des droits de l’homme.
Pourquoi ?
Parce que face à l’extension de ces technologies, l’enjeu n’est plus seulement celui de la liberté des personnes ou du respect de leur vie privée, mais celui du type d’existence qu’induit leur usage généralisé : une existence faite de comportements fonctionnels, paramétrés par les machines et mise en conformité avec les exigences de l’écosystème numérique.
Or une telle existence est en principe parfaitement compatible avec l’ensemble des droits individuels tels que nous les connaissons aujourd’hui.
Si donc nous ne voulons pas d’une existence humaine subordonnée au fonctionnement des machines et à ceux qui les détiennent, nous avons besoin d’un nouveau cadre de référence éthique, étage supplémentaire aux Droits de l’homme. C’est ce qu’accomplit la Déclaration.
Si c'est l'esprit qui est menacé, c'est l'esprit qu'il faut protéger
Partons d’une évidence aveuglante : le foisonnement de textes juridiques – particulièrement en Europe mais pas seulement - sur la protection des données ou le respect de la vie privée, l’inflation de comités d’éthique, de chartes ou de guide des bonnes pratiques n’a enrayé en rien l’extension proliférante du numérique augmenté de l’intelligence artificielle (métatechnologies). Ni la vigilance de la FTC (Federal Trade Commission) aux Etats-Unis, ni le RGPD en Europe n’ont infléchi la marche triomphale des stratégies des géants du numérique. Bien au contraire, ce sont ces géants qui, partout, imposent leurs règles et définissent, ce faisant, les contours de l’humanité future.
En réalité, ces textes et institutions actuels n’ont pas pour but de freiner cette extension qu’ils appellent au contraire de leurs vœux. Ils considèrent l’extension des métatechnologies comme fondamentalement souhaitable et bénéfique, et ne remettent nullement en question l’emprise de l’écosystème numérique lui-même, qu’ils considèrent comme souhaité. En d’autres termes, lorsque ces régulations protègent les individus, elles les protègent en tant qu’ils sont des utilisateurs du numérique, et il ne viendrait à l’idée d’aucun de ces textes de vouloir protéger les individus des effets à long terme du numérique lui-même. C’est là une grande aubaine pour les géants du numérique.
Certes, les outils qu’ils mettent à notre disposition rendent des services incontestables. Mais en même temps, l’écosystème qui se construit à grande vitesse autour de nous modifie en profondeur nos comportements et nos existences, les rendant massivement dépendantes des machines. Des existences faites de comportements fonctionnels, paramétrés par les algorithmes et au service de l’écosystème numérique. C’est là un type d’existence dont le seul horizon d’évolution est l’optimisation technique, comme le montre déjà l’exemple partout vanté des smart cities. Les smart cities, villes ultra-connectées, incarnent ce que pourraient être nos sociétés de demain.
Une telle existence est pourtant compatible avec le respect des droits fondamentaux des individus. Loin de nous en protéger, ces droits, précisément parce qu’ils peuvent être respectés dans un écosystème numérique, favorisent l’avènement de celui-ci. Tel est d’ailleurs le projet de société qu’encourage jour après jour, texte après texte, l’Union européenne dans sa vision de la future société digitale.
Rien dans le droit actuel ne protège donc contre ce type d’existence. Nous ne sommes actuellement pas équipés moralement, juridiquement et politiquement pour faire face à cette évolution qui se renforce jour après jour. Si nous laissons faire, ce mode de vie pourrait donc bien s’installer par défaut, à bas bruit. La vie algorithmée pourrait devenir la norme d’existence.
Notre conviction est que la dépendance permanente aux dispositifs numériques affecte notre esprit en profondeur, c'est-à-dire notre existence, notre manière d’habiter le monde, nos comportements et notre relation aux autres, aux objets, aux institutions et à soi-même.
Aujourd’hui, l’esprit humain est menacé par des tentatives d’extraction, de captation et de manipulation, mais aussi de contrôle et de surveillance, qui, agrégées, finiront par le coloniser. Les problèmes de santé mentale, qui se répandent à la manière d’une épidémie, n’en sont que l’un des symptômes les plus visibles.
Or, si c’est l’esprit qui est menacé, c’est l’esprit qu’il faut défendre.
C’est pourquoi nous affirmons qu’il est urgent d’ajouter un étage à la Déclaration des droits de l’homme, afin de prendre en considération l’esprit humain, dans toutes les dimensions de son existence. Pour assurer son épanouissement et sa souveraineté dans l’écosystème numérique.
Telle est l’intention de la Déclaration universelle des droits de l’esprit humain.